zofia beszczyńska

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Les tennis rouges

« Traite-t-elle la vie sérieusement ? (...) Rien de tel, je parie. Dans des chaussures comme ça ? »
Joanne Harris


– On y va ! – a crié maman en descendant l’escalier si vite que j’ai eu peur qu’elle ne se casse les jambes avec ses talons horriblement hauts. Talons ! Du nouveau. – On va au bal, chez le voisin d’en face. Il fait un grand bal !
Justement : notre nouveau voisin a annoncé qu’il donnait un grand bal. Il a placardé d’énormes affiches partout où il pouvait et en plus a envoyé des invitations aux habitants de la rue. Par courrier.
Réception d’accueil ! – renâclai-je dans mon for intérieur. – Comme dans ces films américains à la con ! Est-ce que tout le monde doit faire pareil, vraiment ? À moins que... à moins qu’il ne soit venu de cette Amérique ! USA, comme dit la sœur cadette de Kacper de ma classe. On rigole, mais il y a quelque chose. USA, un point c’est tout. Ni plus ni moins.
Tout ce remue-ménage m’écoeurait terriblement. J’aurais préféré que Monsieur Argent (comme je l’ai baptisé rien que pour moi) ne restât qu’à moi – et parfois à  maman : enfin, on habite toutes les deux en face de la Maison d’en face – distante et mystérieuse. Et un peu illuminée...
Mais la seule chose que je pouvais faire, c’était de faire montre de ma suprême indifférence. Ainsi que, dans la mesure du possible, de mon mépris.
– Il t’a invitée au bal pour le demi verre de sel ? – ronchonnai-je, par trop fort, naturellement. Je me tenais debout en fixant les pointes de mes tennis rouges préférés,  fort usés. Je les ai eus en cadeau il y a longtemps, à vrai dire j’ignore de qui. Maman a dit que quelqu’un me les a envoyés en colis. Mais, à mon avis, c’est papa, de son lointain, parce     qu’il. ne m’a pas oubliée et ne cesse de penser à moi.
Sauf qu’elle ne veut jamais parler de lui, d’où tous ces secrets.
– Et toi, tu n’es pas contente ? – rompit-elle mes conjectures.
– Pourquoi ? – grogné-je. Y a-t-il une raison d’être contente ? Je me sentais comme Cendrillon. M’a-t-on mentionnée au moins dans cette invitation ? Des tonnes de pavot, peut-être, ou de... lentilles ?
Il devait y avoir quelque chose, car maman a tout de suite porté un regard significatif sur mes pieds.
– Mais, tu sais, Anabella – commença-t-elle timidement – il faudrait s’habiller bien. Que dirais-tu d’une robe nouvelle et de nouvelles... hmm, chaussures ?
Robe ! Rien qu’à entendre ce mot, j’ai vu rouge. Que pouvait-on avoir contre des jeans ? Et un tee-shirt noir – soit, même pailleté. Mais les chaussures ? Peut-être encore neuves ?? Jamais de la vie !!!
Maman me scrutait toujours. Dans son regard, il y avait quelque chose que je ne saurais pas nommer. Je ne pouvais pas le supporter.
– Chaussures ? Quelles chaussures enfin ? – criai-je (trop fort, je le savais moi-même). – Je ne veux d’aucunes chaussures ! Les tennis me suffisent. Rouges !
Maman ne cessait de me scruter. Et puis, lentement, très lentement, elle a hoché la tête.
Vraiment, je ne pouvais pas le supporter.
– J’y vais en tennis ou pas du tout ! – m’écriai-je de plus belle. La colère m’aveuglait presque.
Maman m’a regardée plus attentivement. À la fin, sans mot dire, très lentement elle a dit oui avec la tête. Après quoi, elle m’a tourné le dos et est sortie. Je me suis sentie tout bête, j’ai voulu courir après elle et lui demander pardon, voire, tant pis, enlever ces minables tennis, mais c’était trop tard.


traduction de Wojciech Gilewski

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