zofia beszczyńska

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Musique

Je suis allée de nouveau à la mer, cette fois-ci au sud.
La maison surplombait un rocher élevé, par les fenêtres on voyait une mer changeante, bariolée, un ciel clair, des palmiers. Je n’avais besoin de rien de plus.
Je me levais tard, le soir, je tâchais de ne pas quitter la chambre. J’écoutais le silence.
Quelqu’un de nouveau a fait son apparition dans la Maison. La porte de la chambre numéro neuf, grand ouverte jusqu’à maintenant et exhibant toute la nudité de son intérieur non usité, un lit bien fait, des serviettes vierges et un fragment de fenêtre avec un lointain mirage de la mer – est devenue partie intégrante du mur, ressemblant aux autres de ses fausses baies.
La nuit, le couloir silencieux est plongé dans un noir grêle, dissipé par l’éclat du bâtiment d’à côté ; j’essaie de ne pas perturber ce silence en me faufilant, comme un chat, dans mes chaussettes de laine noire, en  glissant, tel un félin, dans son fourreau moelleux.
Une fois, j’ai senti que quelque chose a changé. Le silence est devenu plus transparent, plus clair, comme si par en dessous d’une des portes y glissait une lumière. Mais ce n’était pas une lumière : c’était de la musique. Et elle venait du côté de la chambre numéro neuf.
Délicate, à peine audible, montant, le moment d’après, dans un tendre crescendo. Une voix aiguë se fondait avec les sons des instruments que je n’arrivait pas à reconnaître ; mais il devait y avoir entre eux une flûte, des sonnettes et quelque chose qui rappelait le bruit des vagues, du vent. Cela ne ressemblait à rien que j’aie pu entendre ici. Ces vagues venaient d’une tout autre île, baignant dans un air grisâtre, humide. Elle avait l’air de dériver sur la mer, mais en réalité elle sombrerait s’il n’y avait pas toujours des lumières : c’étaient elles qui la maintenait à la surface.
Le lendemain, je me suis levée tard, tout le monde a déjà déjeuné depuis longtemps. En rentrant chez moi, j’ai vu la porte du numéro neuf entrouverte, une chaise revêtue de satin au milieu de la chambre ; mais personne à l’intérieur.
Au bord de la mer, déserté, il faisait chaud, il n’y avait pas de vent. Bien des nouveaux galets jonchaient le rivage et de hautes vagues s’y écrasaient avec fureur. Sur le débarcadère, il y avaient comme toujours quelques pêcheurs. J’ai tourné sur mes talons et rebroussé chemin le long de la plage. Maintenant, je voyais devant moi un homme arborant un élégant costume noir . Il était debout et fixait intensément la vague qui avançait et lorsqu’elle s’apprêtait à lécher le nez de ses chaussures luisantes, il s’est incliné rapidement et, avant qu’elle ne se retire, l’a touchée avec le paume de sa main ouverte. J’ai voulu lui sourire, lui transmettre un signe de joie et de sympathie, mais il m’a regardée avec affolement, j’ai rapidement détourné le regard.
En ville, il n’y avait qu’un seul café d’ouvert. J’y suis restée jusqu’au soir en scrutant la flamme chancelante de la bougie posée devant moi et les verres d’alcool, clairs et bruns, sur quelques autres tables. Dans un des coins de la pièce, quelqu’un faisait trop de bruit, parlait au téléphone, entrechoquait les verres. Brusquement, le silence est tombé, j’ai entendu, venant de loin, le grêle bruit de la mer, et après, arrivant du même coin – le chant. D’une femme ou d’un homme, je l’ignore : je ne me rappelais plus qui y faisait tant de bruit il y a peu encore. C’était un chant sans paroles ou avec des paroles que je n’arrivait pas à reconnaître ; la mélodie montait et descendait, changeait de tonalité et d’intensité et la voix du chanteur suivait l’instrument. J’ai tourné la tête de ce côté-là et j’ai senti son regard réciproque ; nous avons échangée des sourires invisibles. Aussitôt, la bougie s’est éteinte sur ma table.
La nuit, le souvenir m’est revenu de la récente traversée du village inconnu et de la rencontre avec l’homme jouant de la trompette. Il m’a fait cadeau d’un sac en soie et d’un bracelet en corail, et puis, il a joué de son instrument jusqu'à ce que je ne trouve la sortie du dédale des rues.
Mais, je ne sais plus si j’ai réellement entendu cet air ou n’ai eu que l’impression de l’entendre.
Quand je ne pouvais pas m’endormir, allongée, j’écoutais le noir. J’espérais réentendre de nouveau la musique, mais je ne captais que les mouvements délicats de la Maison. Quelqu’un marchait peut-être  sur les planchers en bois, mais ceux-ci pouvait aussi bien tanguer tout seuls, en soupirant doucement ; ou bien était-ce là le fait du vent qui s’y a faufilé on ne sait pas comment et maintenant glissait mollement  entre le mobilier, en rasant les murs. Il en touchait un, le cajolait, il en oubliait un autre ; parfois, il ricanait bruyamment. Dehors, les feuilles des arbres s’agitaient même sans son concours, regardaient à travers les fenêtres ou entraient de force à l’intérieur. Il n’y avait que le carrelage en terre cuite qui semblait froid et muet ; mais il suffisait d’y laisser tomber une goutte d’eau pour qu’il se mette à chanter. Comme si ce carrelage, ces pierres étaient tout juste sortis de la mer.
Et moi, en écoutant tous ces sons et fibrillations, j’étais en proie aux histoires des maisons qui non seulement vivaient, mais demandaient encore à être nourries. Des corps de gens qui les habitaient.
J’ai commencé à me lever toujours plus tard ; le matin, je restais longtemps au lit à écouter la mer,  sentir comme elle avance lentement, avec persévérance, pour se retirer brusquement, le moment d’après en traçant des lignes invisibles, des frontières entre le ciel, elle-même et le reste du monde ; et à force d’écouter, au bout d’un temps, je me rendormais.
Lorsque je descendais enfin déjeuner, la salle à manger était vide, le pot à café lavé ; comment donc pourrais-je y rencontrer qui que ce soit ?
Un soir, je suis de nouveau sortie en ville. La lune était déjà sur le ciel, accrochée au-dessus des tours crénelées comme sur une illustration d’un roman d’épouvante. Mais ici, il n’y avait pas de fantômes ; et presque pas de gens.
Un homme avançait dans la rue transversale, je voyais son visage longtemps tourné vers moi. Contente, j’ai voulu lui demander l’heure. Apostrophé, il a rentré sa tête dans les épaules et a pressé le pas. Un peu plus tard, j’ai vu une femme qui me croisait ; mais elle aussi, me regardant avec angoisse, s’est éloignée rapidement.
J’ai décidé de traverser la ville et le parc, et après, en laissant la mer à droite, de rentrer tranquillement à la Maison.
Brusquement, j’ai entendu de la musique venant d’une impasse donnant dans la grand-rue. Comme lors de ma première promenade dans la ville, encore en été. Je me rappelle les petites tables rondes des terrasses et les vieux hommes y assis devant des verres remplis d’un liquide blanc, des assiettes de pain, de tomates et d’olives. Au milieu un vieillard dansait. Son corps maigre et ses bras semblaient se mouvoir aux sons de la mélodie, son sourire heureux montrait des dents pourries. Je n’étais pas la seule à ne pas pouvoir le quitter des yeux. Le danseur revenait à la table accompagné de cris joyeux et d’applaudissements.
À l’époque, les regards insistants des clients du bar m’ont effarouchée, maintenant j’ai décidé pourtant d’y retourner.
Bien qu’il ne fasse pas tard, à peine l’heure d’un dîner avancé, sans doute à cause du froid et du noir les tables et les chaises pliées s’amoncelaient au pied du mur. Mais la musique s’échappant par les fenêtres ouvertes du bar était bien plus forte qu’avant, devait embrasser pas mal de rues avoisinantes. À l’intérieur étaient assis les mêmes hommes, m’a-t-il semblé ; plusieurs paires d’yeux m’ont de nouveau scruté, mais cette fois-ci je m’en fichais. Je me suis approchée du propriétaire ; il a porté sur moi un regard interrogatif, puis il a souri et, gêné, a écarté les bras. Au mouvement de ses lèvres, j’ai deviné qu’il répétait : fermé, c’est déjà fermé. Les hommes sont retournés paresseusement à leurs verres. La musique ne jouait que pour eux.
De retour chez moi, j’ai tout de suite allumé mes deux lampes et ouvert la fenêtre pour laisser entrer le bruit de la mer : le temps était orageux. Le vent a fraîchi et j’ai dû fermer mêmes les jalousies. La Maison se dressait sombre, vide, silencieuse ; j’avais l’impression qu’elle attendait quelque chose. Je me demandais s’il y avait toujours des gens ou si j’étais la seule à y rester en m’accrochant convulsivement à ma chambre comme à un radeau sur une mer infestée de requins.
Couchée dans mon lit, j’écoutais intensément le silence sans pouvoir pour autant capter voire un écho de son. J’ai pensé que j’allais me lever, frapper à la porte de la chambre numéro neuf et vérifier au moins s’il y avait quelqu’un dedans ; mais, je n’ai pas osé mettre le pied sur le plancher.


traduction de Wojciech Gilewski

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